Danone : de la RSE au PSE ?

Le groupe agro-alimentaire a annoncé une réorganisation et la suppression de 2.000 emplois. Une décision, écrit le communiquant Jérôme Ripoull dans une tribune, qui risque d’activer une redoutable dissonance cognitive entre les discours affichés et les pratiques réelles.

L’annonce surprise de Danone de lancer un plan d’économies supprimant 2.000 emplois a surpris tout le monde. Cette décision tranchante vient activer une redoutable dissonance cognitive entre les discours affichés et les pratiques réelles du géant français de l’agro-alimentaire.

A la fois fort et faible de sa dimension internationale, le groupe créé par Antoine Riboud paraît déstabilisé par la réalité économique. Comme si ces difficultés, relatives, faisaient brutalement passer Emmanuel Faber, dirigeant du leader mondial, des discours bienveillants de la « responsabilité sociale des entreprises » (RSE) aux mesures traumatisantes d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Pourtant, en matière de RSE, ce PDG ne devrait pas avoir de compte à nous rendre.

Rupture d’image ?

Celui qui avait publié en 1992 un livre sur la finance et l’éthique, « Main basse sur la cité », a tracé depuis plus de 20 ans chez Danone un sillon professionnel fait d’engagements qui parlent d’eux-mêmes. Il a frappé les esprits avec son discours humaniste à HEC en 2016 et renoncé à sa retraite chapeau en 2019. La même année, il a réussi à obtenir que plus de 99 % de ses actionnaires approuvent le principe de faire de leur entreprise une « société à mission ».

Depuis 2017, le nouveau PDG n’avait donc pas prêté le flanc. Le sillon responsable, sociale et environnemental de Danone était rigoureusement creusé depuis son arrivée à la tête de Danone. C’est pourquoi le choc est d’autant plus fort dans l’opinion publique de voir basculer du jour au lendemain son discours de la responsabilité à la rentabilité, de le voir préférer à la justice sociale la maîtrise des marges.

Des années sont ainsi passées par pertes et profits, tandis que le poison de la dissonance cognitive se diffuse. Les Français risquent vite de conclure que la communication du géant de l’agro-alimentaire n’était finalement qu’une posture. Que la traduction de valeurs qui semblaient solidement enracinées chez Danone n’était qu’une tenue de camouflage sociétal qui s’envole par temps de tempête économique.

« Low cost first »

Les faits et gestes passés vont désormais être relus à l’aune de cette réalité apparemment démasquée. Et la novlangue convoquée par le dirigeant pour défendre son plan et justifier l’exigence de se rapprocher des réalités locales sera sévèrement jugée. Chez les Français, le plan intitulé « Local first » sera vite rebaptisé … « Low cost first ».

Mais après avoir considéré le PDG de Danone comme exemplaire, l’erreur serait maintenant d’en faire un bouc émissaire. S’il est allé aussi loin dans ses engagements d’hier, c’est bien parce que le marché en redemandait et que ses actionnaires n’y trouvaient pas encore rien à redire.

Aujourd’hui, Emmanuel Faber est tout simplement rattrapé par la réalité du capitalisme et la relativité de la raison d’être de nos entreprises. En matière de communication et de valeurs, cette situation vaut bien trois leçons :

– Une leçon d’humilité pour le dirigeant. La communication d’un patron est une variable d’ajustement de la stratégie d’un grand groupe. Du point de vue de l’entreprise, cette parole est plus souvent considérée comme une prise de risque que comme un atout. Voilà pourquoi les dirigeants d’entreprises cotées répugnent maintenant à s’exprimer publiquement.

– Une leçon de réalisme pour tous. C’est le marché et, ici, les actionnaires qui ont le dernier mot. Quand la rentabilité baisse, que les dividendes faiblissent ce sont eux qui reprennent les commandes.

– Une leçon de modestie pour les pouvoirs publics. RSE et « société à mission » sont des concepts fragiles qui peuvent vite voler en éclat. Le pouvoir politique peut bien tenter de les promouvoir et de les encadrer légalement, rien n’empêchera qu’ils deviennent pour les entreprises des promesses de papier en temps de crise.

Finalement Emmanuel Faber est un peu comme Georges Genovés, le héros malheureux de la nouvelle série espagnole de Netflix : « Pour coup coup ». L’histoire d’un homme qui a su arriver au plus haut poste de son entreprise grâce à ses valeurs mais qui se voit contraint de les abandonner quand il est rattrapé par une impitoyable réalité et qu’il veut … rester aux commandes.

Par Jérôme Ripoull, co-fondateur de Comfluence