Mettre en scène l’empathie dans la crise : les excuses publiques de J.P Farandou

Quand Emmanuel Macron recadre Enedis au sujet des coupures de courant, il n’ignore pas que l’empathie prime en gestion de crise. Pourquoi celle-ci s’avère-t-elle cruciale, a fortiori quand la situation nous échappe ? Retour sur les excuses du PDG de la SNCF à la veille des grèves du week-end de Noël.

L’une des clefs d’une gestion de crise réussie est d’avoir une communication en adéquation directe avec la situation et faisant preuve d’empathie vis-à-vis des parties prenantes touchées par la crise afin de conserver leur confiance dans un contexte mouvant. Partant de ce principe a priori simple, la situation se complique grandement dans le cas d’une grève inédite par sa forme. En effet, tout au long du mois de décembre en amont du week-end de Noël, un collectif de chefs de bord, le « collectif national ASCT » qui regroupe 3200 membres sur Facebook, a menacé de faire grève, rompant avec la tradition du dialogue social mené par les syndicats, qui se sont retrouvés mis sur la touche. 

Dans un contexte de désunion et de rivalités entre les différents syndicats représentatifs, et malgré un manque de représentativité et de soutien de la part de certains syndicats comme la CFDT, cette action menée en dehors de tout encadrement syndical a marqué un véritable tournant dans l’histoire des mouvements sociaux de la SNCF avec un nouveau mode de mobilisation et d’action issu des réseaux sociaux. Même si l’appel à la grève des contrôleurs a été annulé pour le week-end du 31 décembre, après des concessions catégorielles de la direction, la grève a bien eu lieu lors du week-end de Noël. Près de 200 000 personnes ont été concernées par les annulations de TGV et ce conflit social laissera des traces dans les relations sociales au sein de la SNCF. Il a également ouvert le débat sur une éventuelle restriction du droit de grève en France.

En ce qui concerne la question de la communication autour de cet épisode, la réaction du PDG de la SNCF est intéressante à plusieurs titres. Tout d’abord parce que même si Jean-Pierre Farandou est un pur produit de la SNCF qui coche toutes les cases, diplômé des Mines, passé par Keolis et Thalys, nommé par Emmanuel Macron en 2019, il n’est pas facile de succéder à Guillaume Pépy. Ce dernier est encore considéré comme l’un des meilleurs communicants au sein de la communauté des grands patrons français, notamment en situation de crise. Son intervention tout au long de la crise de l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge en 2013 est régulièrement enseigné dans les écoles de communication. Et sa récente nomination à la tête du groupe d’Ehpad Orpéa, qui traverse une importante crise existentielle à la suite de la publication du livre « Les Fossoyeurs » du journaliste Victor Castanet, en est une preuve supplémentaire. 

Dès le premier jour de sa prise de poste à la SNCF, il plaide en faveur de l’ouverture avec les syndicats afin de « renouer le fil ». Toutefois, le mouvement de grève de décembre 2022 a court-circuité les syndicats et le dialogue entre la direction et les salariés grévistes semblait impossible pendant de longues semaines, aboutissant à la grève du week-end de Noël. Ainsi, le PDG de la SNCF s’est exprimé à ce sujet à la veille de cette grève lors d’une interview sur RTL le jeudi 22 décembre. Mais il est difficile de s’exprimer quand on n’a rien à annoncer et que la situation est bloquée. C’est pourquoi il a commencé l’interview par cette déclaration : « Je présente des excuses aux Français », avant d’annoncer d’autres mauvaises nouvelles, confirmant les estimations d’un train sur trois annulé vendredi, et deux sur cinq samedi et dimanche. Il en a profité pour appeler aux chefs de bord TGV pour le week-end du Nouvel an : « Il n’y a pas de raison de punir deux fois les Français ». 

Par ce choix de communication, le PDG de la SNCF a mis en exergue la dimension empathique de sa prise de parole sur le sujet et souhaité se mettre du côté des usagers. Même si Jean-Pierre Farandou n’a pas décidé lui-même de cette grève, elle se déroule dans l’entreprise qu’il dirige et elle affecte les usagers en bout de chaine. D’ailleurs, cette première déclaration a été largement reprise dans les médias et commentée. Car dans le même temps, c’était le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, qui s’exprimait sur le sujet à l’antenne de Sud Radio. Le ministre a tenu à mettre la pression sur la direction de la SNCF : « Ce que nous attendons de la direction de la SNCF aujourd’hui, c’est qu’elle trouve une solution dans les prochaines heures, je dis bien dans les prochaines heures. C’est ça la responsabilité de la direction de la SNCF, elle a le soutien de l’État, elle doit trouver les voies et moyens de sortir de ce conflit ». Et en communication de crise, lorsque le politique prend la parole sur votre sujet, la situation est particulièrement critique et franchi un nouveau palier. 

A défaut d’annoncer une solution pour envisager une sortie de crise, la SNCF a mis l’accent sur l’empathie et ce n’est pas anodin. Même lorsque la prise de parole est contrainte, que des négociations sont en cours par exemple et que les médias attendent une réaction du porte-parole d’une organisation, la solution de l’empathie se révèle être une option intéressante. Elle permet de s’adresser aux parties prenantes concernées, sans répondre frontalement aux attaques des détracteurs qui se sont exprimés dans les médias et surtout, de gagner du temps. En effet, au lendemain de la grève, la signature d’un accord entre la direction et les syndicats de la SNCF mettait un terme au conflit. Et ce qu’il restera pour la SNCF, c’est l’image d’un patron proche des usagers qui n’hésite pas à s’excuser, un exercice de contrition de plus en plus rare parmi les dirigeants et qui mérite d’être remarqué.

Par Vincent Prévost, directeur d’Opinion Valley