Le PDG d’une entreprise en situation de crise doit-il intervenir dans la communication de crise ?
En communication de crise, on le constate au quotidien, il n’y a malheureusement pas de recette miracle pour protéger la réputation d’une entreprise et éviter une situation de crise.
La « com de crise », qui s’est de plus en plus professionnalisée ces dernières années, ne permet toutefois pas d’éviter une crise mais elle se doit a minima de ne pas l’aggraver et d’aider les organisations à traverser la tempête. Les choix stratégiques en communication opérés en situation de crise ont des conséquences quasi immédiates sur sa gestion opérationnelle. Dans ces conditions, de nombreuses questions surviennent au cours de la crise pour trouver la meilleure façon de la gérer. Parmi ces questions, celle de faire intervenir le ou la dirigeante de l’organisation arrive souvent sur le haut de la pile. Or, ces dernières semaines, plusieurs exemples mettent en jeu cette question fondamentale et deux organisations majeures ont mis en place des stratégies de communication radicalement opposées : TotalEnergies et le Paris Saint-Germain.
Dans le premier cas, le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, a tenu à réagir aux critiques sur son augmentation de salaire de 52% dans un contexte de grève, qui a touché les raffineries du géant pétrolier français et plus largement d’une inflation généralisée. Pour cela, il a souhaité jouer la carte de la transparence, une exigence de plus en plus incontournable aux yeux de l’opinion publique, en utilisant Twitter, le réseau social suivi par les journalistes et les politiques. Ainsi, il a publié sur son compte une infographie sur l’évolution de son salaire entre 2017 et 2021, assortie du commentaire suivant : « Je suis fatigué de cette accusation de m’être augmenté de 52%. Voici la vraie évolution de ma rémunération depuis 2017. Elle est constante sauf 2020 car j’ai volontairement amputé mon salaire et ma part variable a normalement baissé avec les résultats de TotalEnergies ». Mais le graphique publié sur Twitter laisse apparaitre une rémunération de 3.9M€ lors de la baisse volontaire de 2020, un montant élevé qui n’a pas manqué d’alimenter des réactions amusées voire agacées, de la part de politiques de gauche comme François Ruffin ou Ian Brossat. De plus, le chroniqueur radio Guillaume Meurice a ironiquement lancé une cagnotte Leetchi pour le soutenir financièrement, faisant de Patrick Pouyanné le symbole des grands patrons du CAC40 hors sol aux rémunérations démesurées, quand par exemple dans le même temps, le PDG de CMA-CGM Rodolphe Saadé a gagné 30 milliards d’euros en un an. Enfin, cette séquence a donné un second souffle au hashtag #balancetonsalaire qui vise à soutenir les grévistes des raffineries. Cet effort de transparence sur les réseaux sociaux n’a clairement pas eu l’effet escompté pour atténuer la crise.
À l’inverse , c’est le patron du PSG, Nasser al-Khelaïfi, qui s’esr retrouvé dans l’œil du cyclone avec la multiplication des révélations sur les pratiques du club. Après une série de scandales révélés par la presse impliquant pêle-mêle les pratiques en ligne du service de communication du PSG qui aurait fait appel à une société externe pour influencer les réseaux sociaux, le rôle de Nicolas Sarkozy dans la vente du club au Qatar, le montant du salaire de Kylian Mbappé ou encore l’affaire Tayeb Benabderrahmane du nom d’un homme d’affaires franco-algérien qui détiendrait des informations sur la surveillance des joueurs du club lors de leurs virées nocturnes ou encore une vidéo intime du dirigeant du club et qui aurait été détenue au Qatar. En tout état de cause, le club parisien traverse une mauvaise passe et fait régulièrement la une des gros titres, non pas pour ses résultats sportifs mais pour le comportement de ses cadres, sans qu’aucune parole publique ne semble incarner une réponse d’envergure de la part du PSG. Le choix de cette posture low profile de la part de la direction n’apparaît pas comme une solution de long terme pour limiter la casse, notamment dans un feuilleton médiatique qu’il convient d’éviter à tout prix en situation de crise. Or, ce climat d’incertitude risque de peser sur les résultats sportifs du club et l’ambiance au sein du vestiaire.
On le voit bien dans ces deux cas de figure au sein de vitrines pour le rayonnement économique de la France à l’international, les stratégies retenues par les directions n’ont pas permis d’assurer une maitrise de la communication de crise et risquent même de fragiliser les dirigeants et donc ces organisations sur le plus long terme. Le choix de la chaise vide et d’une posture low profile ne permet pas d’éviter une crise. D’ailleurs, ces dernières années, l’expérience montre que ces choix ont généralement aggravé les crises comme cela a été le cas lors de l’Affaire Fillon en 2017 ou l’Affaire du lait contaminé chez Lactalis en 2018. Toutefois, la mise en scène du dirigeant n’est pas non plus la panacée en communication de crise. Les observateurs se souviennent de l’exemple de l’intervention du PDG de la Société Générale, Daniel Bouton, au JT de France 2 face à David Pujadas lors de l’affaire Kerviel, le mettant sur le devant de la scène et entraînant sa démission un an après le scandale à la suite d’une série de polémiques incessantes le visant personnellement (stock-options, retraite, autres pertes financières), est un cas que tous les dirigeants doivent garder en mémoire avant de se lancer dans la bataille de l’opinion. En effet, le risque, en faisant monter le dirigeant en situation de crise, plutôt que de le protéger et d’assurer une stabilité pendant la tourmente, est de l’exposer inutilement et d’en faire le bouc émissaire de la crise et in fine d’affaiblir sa position en cas de « feuilletonnage ».
Mais alors que faut-il faire – ou ne pas faire – si l’on souhaite faire monter le dirigeant en com de crise ? La première question à se poser est de savoir si la situation est assez grave pour justifier de mettre le dirigeant dans une position où il risque sa fonction en portant la responsabilité de la situation. Si tel est le cas, il faut également s’assurer que le ou la dirigeante accepte ce rôle et ce niveau d’exposition médiatique, notamment dans le cas d’une personne peu habituée à parler aux médias.
Une fois l’évaluation du niveau de risque et le choix du porte-parole effectués, il convient de respecter quelques règles fondamentales en communication de crise :
– La première exigence est de ne pas perdre de temps et d’adopter une posture de communication proactive, le premier émetteur installant souvent sa vérité et maitrisant ainsi le timing de la séquence de communication.
– L’autre élément décisif dans la communication de crise est de ne jamais oublier de faire preuve d’empathie pour accueillir l’émotion générée par la crise auprès du grand public.
– En outre, les éléments de réponse et les informations transmises par la direction doivent rester neutres, vérifiables et factuels et s’abstenir de tout jugement de valeur afin de garantir une prise de distance avec les événements.
– Si la responsabilité de l’entreprise est mise en cause, la direction doit prendre des engagements pour résoudre la situation et s’y tenir en informant régulièrement sur l’avancée du plan d’action.
– La prise en compte de l’exigence de transparence du grand public pour répondre à une situation de crise doit servir de grille de lecture dans la construction des messages.
– Enfin, les communicants doivent également veiller à informer l’interne pour éviter la confusion au sein de l’organisation, rassurer les collaborateurs et leur fournir des éléments de réponse sur la situation en cas de sollicitation dans le cadre privé.
Ces éléments ont peut-être fait défaut dans le message publié par Patrick Pouyanné sur Twitter, notamment sur la prise en compte de l’empathie et de l’émotion du grand public. Surtout que l’entreprise, qui a déjà été mise en cause dans les médias lors du naufrage de l’Erika et de l’explosion de l’usine AZF de Toulouse, subit des attaques sur plusieurs fronts avec des critiques nourries concernant ses activités en Russie, ses projets d’exploitation pétrolière en Ouganda ou encore plus généralement son impact sur le réchauffement climatique. Elle était donc attendue au tournant et toute prise de parole de la part de son dirigeant comporte une dimension émotionnelle forte.