DANONE : LA RSE À L’ÉPREUVE DE LA CRISE

L’annonce de centaines de suppressions de postes chez Danone, pourtant chantre de la responsabilité sociale des entreprises, montre à quel point la communication est importante dans ce contexte.

Prenez un plan de réorganisation au service de la stratégie mondiale du groupe et de la croissance de sa rentabilité. Faites réduire de 25% les effectifs des sièges. Baptisez l’opération «local first» (entendez : une filiale au lieu de trois par pays). Faites porter le tout par un PDG tout en sensibilité dans une interview exclusive au Figaro

Il y a assurément des recettes de com’ dont il ne faut pas abuser, même chez Danone, chantre de la responsabilité sociale des entreprises. Les fonds de sauce sont fragiles. Tel l’optimiste décrit par Churchill, Emmanuel Faber a dû voir dans les problèmes générés par la crise mondiale une opportunité d’en régler de plus vastes. Business first ! Danone assume d’ailleurs, en tête de ses priorités, l’exigence d’augmentation de la rentabilité du groupe. Avec des motifs nobles (il en faut) : «une marge supérieure à 15% est la condition de notre capacité à investir sur le long terme et à continuer d’influer positivement sur la biodiversité, le revenu des éleveurs laitiers ou l’agriculture régénératrice.» Mais aussi pragmatiques : «nous avons besoin de renforcer structurellement notre niveau de marge dans un contexte de plus en plus incertain et volatil. Avant le Covid, personne n’aurait pu imaginer de voir les marges de notre branche eaux divisées par deux en moins de six mois.»

La transformation d’un tel groupe, à la lumière des valeurs fortes qu’il revendique pour manager sa renommée, sa gouvernance et ses offres, ne peut pas passer inaperçue. A fortiori dans la crise mondiale que nous traversons, où c’est aussi la «résilience» des valeurs corporate qui est mise à l’épreuve.

«Local first» ou la confusion des arguments

«Local» désigne bien plus aujourd’hui qu’une simple carte du proche, c’est un marqueur de RSE adoubé par la crise, un concentré de sens. Il est pour le moins étonnant d’en faire le corollaire d’un plan de suppression de postes, même pour le rendre respectable. Danone confesse y voir avant tout un enjeu organisationnel : «notre organisation mondiale par métiers créait des silos, ce qui nous empêchait de saisir des opportunités. Nous allons gagner en agilité en simplifiant les instances de décision.»

Le consommateur-citoyen, lui, vit cet enjeu de plus en plus comme un sujet de société. Le voilà entré en «transition alimentaire», confronté sur le marché à de grandes marques qui ont organisé depuis les années 70 une mise en anonymat de leurs produits (anonymat qu’elles cherchent désormais à corriger). Les stimuli publicitaires traditionnels n’ont plus le même impact sur un client qui attend qu’on lève le doute sur l’origine des matières premières, la composition, les lieux de fabrication de son alimentation ou la chaîne de valeur du producteur au distributeur. C’est pourquoi les marques régionales et les produits locaux ont tant de succès et détrônent parfois, même en GMS (grandes et moyennes surfaces), de puissantes marques nationales.

Opposer local et mondial appauvrirait pourtant le débat. Il est urgent de reconnaître la complémentarité des modèles et la pluralité des enjeux. Ce qui est vrai pour l’agro-alimentaire est vrai pour l’agriculture. La promotion du local et des valeurs associées ne peut pas s’opposer, par ailleurs, à des stratégies d’exportation, d’innovation et d’adaptation à des enjeux planétaires comme le réchauffement climatique, de leadership sur des marchés mondialisés où la capacité à maîtriser les normes constitue un enjeu de puissance légitime.

«Think global, act local» ou gérer l’imprévisible

Au final, après avoir posé en 2017 sa signature «One Planet. One Heath», Danone, avec ce plan «local first», fait la synthèse, ravivant implicitement ce slogan que de grands groupes, à l’instar d’Axa, avaient fait leur voilà déjà quelques décennies, et qui fut un marqueur de leur réussite, en conjuguant tout à la fois vision et pragmatisme : «think global, act local.»

«Afin de pouvoir faire face à l’imprévisible, les groupes les plus forts veilleront à préserver leurs marges, leurs liquidités et à limiter leur endettement. Ils seront aussi plus sélectifs dans leurs investissements et leurs dépenses. Ils n’hésiteront plus, enfin, à céder leurs actifs les moins stratégiques», écrit Ivan Letessier dans Le Figaro.

A quoi il faut ajouter que l’imprévisible se joue aussi sur le terrain de la réputation, des valeurs, des modèles et des engagements. La communication n’étant pas seulement l’art d’enrober les choses difficiles, il importe de se souvenir qu’elle est, avec l’intelligence économique, une composante stratégique de la créativité et de la résilience des entreprises dans un monde de plus en plus volatil, incertain, complexe, ambigu.

Par Vincent Lamkin, co-fondateur de Comfluence