Bonnes résolutions…

Le commandant (encore un homme !) nous annonce quinze jours supplémentaires en haute mer mais nous rassure sur les vivres. Aucun passager ne s’attend cependant à voir poindre à l’horizon la moindre côte passé ce délai. Plutôt que de compter les jours et les morts (cette époque aime décidément les chiffres), nous prenons avec quelques voyageurs de bonnes résolutions.
• Ne plus écouter en boucle les informations : à force de tourner en rond dans ce manège morbide, nous allons vraiment finir par nous abrutir l’imaginaire et l’espoir…
• Lire et relire quelques chefs d’œuvre oubliés, comme Les Bêtisesde Jacques Laurent (Goncourt 1971), cathédrale littéraire où l’on peut lire ceci : « l’homme-masse, ce barbare qui n’a d’autres idées que celles des autres (…), qui croit savoir parce qu’il connaît les derniers mots applicables au dernier état d’une question, qui s’en remet au progrès pour progresser, à la notion d’égalité pour se dispenser de tout effort personnel, qui profite d’une civilisation en méprisant ceux dont il hérite.»
• Ne plus faire usage, dans nos conversations, de formules toutes faites, aussi creuses qu’un tambour, du genre « plus rien ne sera comme avant » (a fortiori si l’on veut vraiment que des choses changent et y être pour quelque chose), ni de façon intempestive de mots comme ceux-là : « héros », « front »… Certains à bord se souvenant du Général de Gaulle le 6 juillet 40 à Londres à l’adresse de ceux qui l’ont rejoint au péril de leur vie : « Je ne vous féliciterai pas d’être venus : vous avez fait votre devoir. »
• Ne pas nous découvrir d’un fil : pour une fois, cloués en cabine, il sera facile de respecter le dicton d’avril, même si un soleil radieux inonde le pont supérieur.
• Adopter la formule de Malraux, après la mort accidentelle de ses deux fils, quand quelqu’un s’approche de vous pour entamer une conversation : « Parlons d’autre chose »…

Vincent Lamkin, associé fondateur de Comfluence