Fausses notes
Un nouveau rite s’est imposé aux consommateurs que nous sommes : noter !
La semaine dernière, mon garagiste m’informe que je recevrai par mail une invitation à évaluer la prestation. Il juge bon de me préciser que s’il est très content quand son fils lui ramène un 7 sur 10 à la maison, pour le constructeur, en-dessous de 9, la note laisse à désirer. À bon entendeur…
Hier, à peine sorti de chez le chocolatier, je reçois une invitation à évaluer mon expérience. Présenté comme un nutri-score, le baromètre de 1 à 10 n’est en vert qu’à partir de 9, en-dessous, la note passe au jaune… La suggestion, pour n’être que visuelle, est tout aussi explicite.
Tous ces artifices pour faire grimper la note auront bien sûr disparu une fois qu’il s’agira de dire combien les clients sont satisfaits de leur « expérience ».
Influencés par cette culture du jugement qui vaut recommandation ou mise en garde, nous avons pris l’habitude de jeter un œil sur les avis et notations des clients déjà passés par là…
Mais que valent, là aussi, des notes censées nous informer quand on reste à la surface de leur sanction ? En explorant les avis des clients d’un établissement balnéaire, je constate qu’une personne refoulée du bar d’un hôtel lui met la pire note, vexé de n’avoir pas eu l’accueil qu’il espérait. Que vaut sa note, mise au même niveau qu’un 5/5 d’un voyageur qui, plusieurs jours durant, y aura séjourné, déjeuné, dîné… ?
Sommes-nous désormais réduits à radicaliser nos jugements, à choisir entre des plébiscites factices ou des opprobres trompeuses, quand il ne s’agit pas de les fabriquer nous-mêmes ? La nuance n’est-elle plus de ce monde?
Ce qui vaut pour nos expériences triviales du quotidien s’appliquant bien souvent aux débats qui traversent notre société, tirons-en une conclusion utile : la communication et l’information se doivent d’être, plus que jamais, au service de la nuance. Ce qui n’est pas toujours, avouons-le, leur penchant naturel. Il se joue là, pour elles, une mission de salubrité publique.
Mettre de la nuance dans les satisfecits dont nous nous faisons les messagers pour les rendre plus crédibles et plus utiles à une démarche de progrès ; mettre de la nuance dans nos critiques pour ne pas faire le jeu des préjugés ou de l’ignorance.
Terminons ainsi sur une note… d’optimisme !
Par Vincent Lamkin, co-fondateur de Comfluence