Agroalimentaire : Pour vivre heureux, ne vivons plus cachés !

Alors que les sujets liés à l’agriculture et à l’alimentation ont une nouvelle fois été placés sous les projecteurs lors du Salon de l’agriculture (SIA) et des négociations commerciales, tous les acteurs du secteur sont soumis à une forte pression médiatique où la moindre erreur d’anticipation se paye « cash ».

Février, le marronnier de l’agriculture 

Fin février, s’est ouvert comme chaque année le SIA, mettant en lumière à l’échelle nationale les agriculteurs de toutes les régions, en particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine et de l’inflation généralisée des prix à la consommation. En amont du SIA déjà, les sujets nourrissant de façon habituelle les polémiques autour des produits phytosanitaires ou de la qualité nutritionnelle des produits, avaient commencé à fleurir ici et là, à la faveur d’opérations de relations publiques des différentes parties prenantes. En parallèle, il était intéressant de noter que les syndicats professionnels avaient tenu leurs conférences de presse de début d’année comme Phytéis, le syndicat des fabricants de produits phytopharmaceutiques à usage agricole. Et dans le même temps, des associations comme Générations Futures publiaient des études juste avant le SIA pour mettre à l’agenda politique leurs combats. Ainsi, Phytéis et Générations Futures ont tenu leurs conférences de presse respectives à quelques heures d’intervalle.

Simultanément, nous avons pu assister à la traditionnelle passe d’armes médiatique entre les fournisseurs et les distributeurs dans le cadre des négociations commerciales. Chacun tenant des discours alarmistes sur une inflation exponentielle ou sur la disparition du secteur agricole, tout en menant des discussions d’une extrême violence dans des boxes fermés, bien à l’abri des regards. Force est de constater qu’aucun des deux scenarios ne s’est appliqué au matin du 1er mars. Tout au long de cette séquence de communication dure de fin février à fin mars, nous avons également droit aux reportages télévisés d’investigation en caméra cachée avec des musiques anxiogènes sur les pratiques des uns et des autres, remettant sur le devant de la scène les sujets classiques qui nourrissent des polémiques depuis plusieurs années et continueront de le faire pendant encore longtemps. D’ailleurs, une partie des sujets remis en lumière à l’occasion des 10 ans de Cash Investigation portait sur ces questions. Pêle-mêle, nous pouvons citer le nutriscore, les sels nitrités, les néonicotinoïdes, les produits ultra-transformés, le dioxyde de titane, la baisse des ventes en bio, etc. Et de l’autre côté, les professions et entreprises ciblées ont publié des communiqués de presse et diffusé des live tweet pour se justifier mais que personne n’a lus. 

Sortir du bois pour ne plus subir

Cette situation faite de positions figées ne peut qu’encourager les décideurs politiques à faire des annonces « chocs » pour siffler la fin de la récréation, avec des changements de réglementations qui seront à prévoir dans les prochains mois en amont des débats de la prochaine loi d’orientation agricole. Ainsi, Emmanuel Macron a annoncé lors de sa visite au SIA un nouveau plan sur les produits phytosanitaires visant notamment à coordonner l’action de la France avec celle de l’Union européenne. Or, le point commun sur tous ces sujets est un manque évident de transparence : des négociations commerciales secrètes entre fournisseurs et distributeurs, des protocoles de recherche opaques du côté des associations, et un manque de propositions politiques concrètes de la part des syndicats cherchant avant tout à gagner du temps en réclamant un statu quo. Mais le temps de l’immobilisme et de la culture du secret n’est plus à la hauteur des attentes du grand public, et donc par effet de miroir des politiques. Il est donc temps de sortir du bois !

Ces changements sociétaux, ces demandes politiques, ces évolutions réglementaires, lorsqu’ils ne sont pas suffisamment anticipés d’un point de vue médiatique et politique, peuvent devenir des sujets de crise et avoir un retentissement important auprès de l’opinion publique et in fine des consommateurs. Le dernier exemple en date est celui de la fin de la dérogation autorisant l’utilisation des néonicotinoïdes par les betteraviers. Ce sujet est à l’agenda depuis plusieurs années. Tout le monde sait que ces substances sont ou vont être interdites et que cette décision s’inscrit dans un cadre plus large de remise en question des produits phytosanitaires. Mais rien n’a été manifestement réalisé pour anticiper cette fin. Ni les politiques, ni les agriculteurs, ni les militants associatifs n’ont mis à profit ces années de controverse pour chercher ensemble des solutions alternatives. Peut-être qu’une mobilisation du Conseil Économique Social et Environnemental sur le sujet permettrait d’instaurer un espace de dialogue neutre pour un échange entre les différentes parties prenantes engagées sur le dossier…

Dans tous les cas, chacun reste campé sur ses positions, refusant le dialogue et oubliant par la même occasion le fait que l’intérêt général naît de la rencontre des intérêts particuliers et que pour faire changer les choses, il faut sortir des postures caricaturales, ne plus se cacher derrière des éléments de langage vides de sens et engager le dialogue. Le bon vieil adage « vivons heureux vivons cachés » ne fonctionne plus depuis plusieurs années et il serait temps de s’en rendre compte. Au contraire, il sert de terreau fertile favorisant l’émergence de sujets sensibles qui deviennent de véritables crises. Et pour éviter les crises, il ne faut pas espérer passer entre les gouttes une fois que la tempête a éclaté, il faut les désamorcer avant que la charge n’explose. Alors qui des industriels ou des associations osera enterrer la hache de guerre en premier ? Qui osera ouvrir sa porte pour engager un dialogue collaboratif et constructif pour que tout le secteur puisse sortir la tête haute de cette situation ? A coup sûr, celui ou celle qui le fera prendra un coup d’avance pour peser sur l’évolution du secteur.