La transition écologique n’est pas un sujet tabou pour le monde agricole
Le SIA fêtera ses 60 ans dans un mois. Mais peut-il être encore la grande fête insouciante, qu’il fut, d’une France agricole unie et miniaturisée dans sa capitale quelques jours durant ?
Avec cette insupportable habitude qu’a prise la « ville » – c’est-à-dire notre technocratie mais aussi monsieur et madame tout le monde – de faire la leçon au monde agricole en lui imposant ses lubies, il est difficile de le croire. La colère ambiante en dit long.
Ce monde-là aimerait sans doute qu’on le célèbre moins pendant ces quelques jours et qu’on lui fiche la paix le reste de l’année, et surtout qu’on le laisse travailler… Car il n’a pas attendu qu’on le lui demande pour se transformer.
Il y a 60 ans, notre agriculture représentait 20% de la population active. Elle n’en représente plus que 1,5 %. On imagine les immenses bouleversements humains et techniques derrière ces chiffres…
C’est d’ailleurs là que se joue un défi de taille. Le recul inquiétant des vocations et de l’attractivité de métiers paupérisés et déconsidérés pose la question d’une succession dans les exploitations qui ne se fera pas sans un engagement politique et professionnel d’ampleur, ni sans un nouveau récit valorisant les métiers de l’agriculture, comme on l’a fait par exemple pour les armées.
Certains aiment à croire que l’agriculture a besoin de nouveaux leaders : elle a d’abord et surtout besoin de « faiseurs » ! Et ce n’est pas un mince défi. Des métiers où la valeur travail et le sens de l’effort n’ont jamais faibli peuvent-ils avoir encore la cote dans notre société ?
Un autre sujet est la question du juste prix. C’est une vieille antienne et un juste combat quand on sait combien le coût de l’alimentation a été tiré vers le bas, et combien l’inflation en la matière est insupportable pour les Français, a fortiori quand les marges en aval sont opaques.
Cette donne est cependant plus complexe qu’il n’y paraît. Comparer les prix de notre alimentation, pour justifier leur revalorisation dans le panier des Français, avec la part prise par certaines de nos dépenses, comme celles du logement par exemple, n’est pas pertinent, car ce marché constitue une bulle nationale et autant de bulles locales.
Or, la mondialisation de l’alimentation nous confronte à des flux concurrentiels majeurs de plus en plus déloyaux du fait des contraintes et des interdictions que nous nous imposons. A fortiori quand la France et l’Europe s’entendent pour prendre des décisions hors-sol et créer les conditions d’une catastrophe annoncée. « Farm to Fork », en l’état, c’est plutôt « De la ferme à la fermeture » !
70% des fruits et 30 % des légumes consommés aujourd’hui en France sont importés. Si les vins et spiritueux pèsent significativement dans la performance du secteur en matière de commerce extérieur, sans empêcher notre recul cependant, le fait est que depuis cinq ans la France agricole est devenue déficitaire avec ses voisins communautaires.
La transition écologique n’est pas un sujet tabou pour le monde agricole qui sait mieux que quiconque les enjeux du climat et ses effets. Mais comment aller durablement de l’avant quand il faut faire face, tout à la fois, à une instabilité règlementaire et normative incessante, à une guerre idéologique insensée – en germe en son sein même si l’on en juge par les récentes conférences qui animent la vie des étudiants d’Agro Paris Tech –, et plus largement quand le rejet de l’innovation – ainsi qu’en témoigne la difficulté à imposer les NGT – repose sur une agriculture fantasmée alors même que celle-ci s’est déjà fort heureusement profondément adaptée à ces nouveaux défis, en responsabilité.
Le fait est que pour les Français, de plus en plus déconnectés de l’agriculture, celle-ci n’a finalement plus de visage, ni de réalité tangible.
L’agriculture a toujours été un secteur vital au sens le plus trivial. Elle est devenue un secteur stratégique au sens le plus noble, de par ses enjeux concurrentiels, géopolitiques, culturels, technologiques, biologiques… Elle n’est pas un simple maillon dans une chaine de valeur économique.
Sans renoncer à la convivialité de cet événement unique, le temps est sans doute venu de faire du salon de l’agriculture autre chose qu’une grande foire, façon miroir aux alouettes.
Vincent Lamkin,
Associé-fondateur de Comfluence Groupe
Co-Président d’Opinion Valley