Gouvernement Attal ou gouvernement Macron ?
Ce gouvernement est-il le gouvernement Attal ou le gouvernement Macron ?
Techniquement, le Premier ministre est le chef de gouvernement mais il ne fait aucun doute que le gouvernement du 11 janvier est bien celui d’Emmanuel MACRON.
C’est lui qui, soupesant les différents équilibres, a choisi de nommer deux ministres provenant de la droite à des postes stratégiques (le Travail, la Santé et les Solidarités d’un côté, la Culture de l’autre) et Gabriel ATTAL doit désormais composer, depuis Matignon, avec de fortes têtes qui ont en partie tenté de lui en barrer l’accès.
Le gouvernement est certes incomplet et d’autres personnalités vont être nommées après le discours de politique générale du 30 janvier. Mais elles le seront selon la ligne politique fixée par le Président.
Gageons en revanche que le destin politique des deux têtes de l’exécutif est étroitement lié et qu’après l’année difficile qu’a été 2023 (rappelons que la majorité a connu deux semi-échecs : la réforme des retraites et celle de l’immigration), Emmanuel MACRON souhaite réellement la réussite de son Premier ministre. Pire, il a besoin qu’il réussisse. La séquence des européennes s’avère hautement périlleuse pour le chef de l’Etat, une lourde défaite pouvant marquer au fer rouge la deuxième partie du quinquennat et déstabiliser les fragiles équilibres.
Gageons aussi que Gabriel ATTAL saura rapidement faire ses preuves : il a déjà démontré, lors de ses premiers jours à l’Hôtel de Matignon, un vrai sens politique et une certaine pratique du pouvoir (en témoignent ses nombreux déplacements, ses réponses à l’opposition à l’Assemblée nationale ou encore sa posture face au monde agricole).
Ainsi le gouvernement Macron pourra-t-il devenir le gouvernement Attal dans les prochains mois.
La principale décision de Gabriel ATTAL comme Ministre de l’Education nationale a été une circulaire sur l’Abaya. Est-ce que cela préfigure un gouvernement qui va privilégier le réglementaire aux projets de loi ?
En six mois entre juillet 2023 et janvier 2024, le ministre de l’Education nationale n’aura finalement eu le temps ni de réussir, ni d’échouer. Ce qui nous permet de ne retenir, de son passage rue de Grenelle, que quelques coups d’éclat politique (on se rappelle son témoignage sur le harcèlement scolaire) et effectivement, une mesure sur l’Abaya qui n’est pas une loi, mais une simple circulaire.
Faut-il y voir une méthode de gouvernement pour les prochains mois ? Je ne crois pas.
Depuis juillet 2022 et la formation d’une majorité relative à l’Assemblée nationale, certains ont bien tenté de prophétiser l’avènement d’une nouvelle « ère règlementaire », censée permettre au gouvernement de contourner les oppositions et de faire adopter un droit à sa seule discrétion.
L’expérience montre plutôt le contraire : en dix-huit mois de gouvernement, plus de 50 lois ont été adoptées d’après le registre de Légifrance. Et le programme législatif des prochains mois montre bien que la loi occupera le devant de la scène. Sont prévues entre autres :
- Une loi sur la souveraineté énergétique, avec le retour en force du nucléaire
- Une loi sur l’orientation et l’avenir agricole, très attendue par le monde agricole
- Une loi sur la simplification économique, annoncée comme le volet 2 de la loi PACTE
- Deux lois sur logement, l’une sur la rénovation de l’habitat indigne actuellement en discussionet l’autre, à venir, sur la décentralisation de la politique du logement
- Une loi de programmation pluriannuelle pour le grand-âge, annoncée pour le deuxième semestre
- Une loi sur la fin de la vie, aux contours encore incertains
Pour autant de temps à autres, le gouvernement a recours au décret, comme lorsque le Président annonce dans un discours le doublement de la franchise médicale et que, dans les jours qui suivent, le gouvernement fait savoir que la mesure passera par un décret d’ici mars.
Mais n’oublions pas l’essentiel : le règlementaire ne peut pas tout. Il s’exerce dans un cadre bien défini, celui de la loi. Et pour dépasser ce cadre, il faut une loi !
Sur les grands textes à venir au Parlement, doit-on s’attendre à une majorité introuvable ou possible ?
Le programme législatif des prochains mois est très chargé et le premier semestre « politique » de 2024 va l’être tout autant, avec deux échéances majeures : les élections européennes de juin prochain et les Jeux Olympiques et Paralympiques de cet été.
La première risque de marquer le tournant du quinquennat, avec des craintes quant à un score élevé du Rassemblement national et la seconde présente un fort potentiel crisogène, avec des enjeux de sécurité, de transports ou encore d’accès démocratique au sport.
Or, les professionnels en politique le savent, ce type d’actualité a pour effet d’électriser le débat politique et renforce le jeu de posture. Ce qui ne va pas favoriser le travail de négociation et d’élaboration d’un compromis entre partis.
L’une des solutions pour faire plus facilement adopter les réformes consisterait pour la majorité à conclure un « pacte de gouvernement » avec l’opposition, par exemple les Républicains. Mais à part quelques personnalités politiques (on pense au sénateur Alain JOYANDET) et malgré les entrées de LR au gouvernement, les cadres du parti s’y refusent pour le moment.
L’autre solution reste de trouver des compromis au cas par cas. On peut remarquer une plus grande tendance au « transpartisanisme » à l’Assemblée nationale, ou encore l’inclusion le plus tôt possible des partis de l’opposition au sein de grandes concertations (on pense aux Rencontres de Saint-Denis). Mais ces initiatives ne font pas une politique de coalition.
Heureusement pour Emmanuel MACRON, les textes à l’agenda 2024 ne semblent pas aussi explosifs que les précédents : la lutte contre l’habitat indigne est un texte essentiellement technique, la relance du nucléaire fait désormais presque consensus, le texte agricole promet de répondre à un besoin précis (celui de l’installation des jeunes agriculteurs), la loi sur le bien-vieillir a été préfigurée par une loi déjà débattue en première lecture à l’Assemblée nationale, enrichie des propositions de l’opposition…
Gouverner, c’est prévoir. La conduite de la France dans les prochains mois nécessitera à coup sûr de l’anticipation et beaucoup de doigté. Une discipline à 5 bandes qui mériterait de figurer au programme des Jeux Olympiques…
Fred GUILLO, Directeur Adjoint du pôle Affaires Publiques de Comfluence