Industrie pharmaceutique – le paradoxe entre l’injonction d’une souveraineté française et la régulation économique du secteur

Le 13 juin 2023, le président de la République tweetait : « Produire en France les médicaments essentiels à nos vies : voilà notre objectif ». Un objectif ambitieux et attendu par de nombreuses industries pharmaceutiques – françaises comme européennes. Mais celles-ci doivent aujourd’hui faire face à une injonction contradictoire des pouvoirs publics, prises en étau entre la volonté affichée du renforcement de la souveraineté sanitaire française et la réalité de la régulation économique qui est, à l’heure actuelle, incompatible avec la réalisation de cette volonté.  

Produire en France, c’est finalement renforcer l’attractivité du pays et développer la capacité d’investissement des acteurs industriels dans la production de médicaments. Mais force est de constater que le déficit d’attractivité de la France ne cesse de s’accroître : premier producteur européen de médicaments il y a 15 ans, la France est aujourd’hui reléguée à la sixième place. Cette baisse d’attractivité ne concerne pas uniquement les acteurs européens ou internationaux mais également les champions industriels français ! En effet, ces derniers voient aujourd’hui s’accroître le déséquilibre entre leur rentabilité à l’étranger – qui augmente – et leur rentabilité en France – qui stagne ou baisse.  

L’objectif de production française fixé par le Président de la République est pourtant atteignable, à condition de concilier les objectifs de souveraineté sanitaire et ceux liés à la régulation économique. A ce titre, l’émergence d’un pacte économique soutenable entre l’Etat et les acteurs industriels est essentiel, s’articulant autour de deux piliers : 

 1/Une fiscalité plus adaptée au regard de celle existante dans les autres pays européens. La France est aujourd’hui le pays européen avecle taux de prélèvement le plus haut, comme le confirme la dernière enquête annuelle du Leem sur la fiscalité de l’industrie pharmaceutique. Avec un taux global de prélèvements de 60%, les industries pharmaceutiques implantées en France sont davantage taxées que les autres pays européens (51% au Royaume-Uni, 42% en Allemagne, 35% en Italie et 29% en Espagne).  

2/Une politique de prix des médicaments plus équilibrée, qui doit tenir compte de l’empreinte industrielle, des coûts de production et de développement ainsi que de la capacité des patients à payer. Car les médicaments matures – ou médicaments du quotidien – ont subi une politique de baisse des prix continue ces dernières années, sapant la quasi-totalité des capacités d’investissement des acteurs pharmaceutiques en France pourtant essentielles au renforcement de la souveraineté sanitaire.  

Pour ce faire, des solutions sont rapidement implémentables :   

  • Amorcer un rééquilibrage de la politique fiscale liée aux médicaments – dans le cadre des prochains PLFSS – notamment en agissant sur la clause de sauvegarde, mécanisme censé maîtriser les dépenses publiques liées au médicament mais dont le montant a évolué de manière exponentielle ces dernières années (1,6 milliards d’euros annoncés en 2023) ;  
  • Appliquer réellement la loi en vigueur – notamment de l’article 65 de la LFSS 2022 qui permet de rehausser le prix d’un médicament en fonction de l’empreinte industrielle.  

Toutefois, la volonté politique de renforcement de notre souveraineté se heurte aujourd’hui à une trajectoire économique maîtrisée inscrite dans la loi de programmation des finances publiques pour la période 2023-2027.  

Ce qui laisse bien peu de marge de manœuvre pour assouplir la régulation économique du secteur industriel pharmaceutique français. Au risque – à long terme – d’affaiblir encore davantage l’attractivité et la compétitivité de la France face à ses voisins européens et d’affaiblir le tissu industriel français. 

Antoine SZARZEWSKI, Directeur Conseil en Affaires publiques – Directeur du Pôle Santé de Comfluence