SONDAGE ODOXA POUR COMFLUENCE

La parole des patrons, la raison d’être, la confiance dans l’entreprise… Où en sont les Français ?

On pointe souvent un regard critique des Français sur l’entreprise. Qu’en est-il ?

Vincent Lamkin : la perception des Français n’est pas univoque. Un exemple… Les dirigeants d’entreprises sont des leaders d’opinion sous représentés aujourd’hui dans le débat public. Et les Français le perçoivent bien : 70% estiment que les médias devraient leur donner plus la parole pour partager leurs expériences et leurs analyses sur la société. Sur de nombreux sujets, ils estiment à plus de 80% que leur point de vue a un intérêt : les relocalisations, l’insertion et la formation, la lutte contre le chômage, l’égalité hommes-femmes, l’évolution des modes de travail, l’environnement et le développement durable… Les entreprises n’ont jamais autant revendiqué leur place dans la société, au service de ses grands défis et de ses transformations. Leurs dirigeants doivent assumer ce rôle d’ambassadeur et d’expert de leurs combats. 

Cependant, la défiance des Français quant aux nouveaux discours d’engagement sociétal des entreprises persiste : ils sont 60% à penser que les entreprises ne s’engagent pas plus qu’auparavant en faveur de la société, au service de l’intérêt général. Au cœur de la crise Covid, les Français avaient été plus enclins à reconnaître le sens de l’engagement des entreprises. Mais, cette tendance, on le voit à travers diverses études et ici également, est fragile et la défiance domine : même si le fait que 40% pensent qu’elles s’impliquent davantage est un indicateur intéressant. Comprenons aussi qu’en s’engageant de plus en plus, l’entreprise génère de nouvelles attentes et de nouvelles promesses, et qu’elle élève le niveau d’exigence des consommateurs et des citoyens à son égard. Parler d’engagement sociétal et de RSE, ce n’est pas un choix de facilité. Le faire, c’est surexposer l’entreprise, sa réputation. La communication doit aussi être garante de l’alignement entre la parole et les actes.

Le fait que les crises soient plus visibles médiatiquement, cela pèse-t-il dans ces perceptions ?

Jérôme Ripoull : dans une situation de crise, en cas de prise de parole de l’entreprise, les Français font prioritairement confiance à un ou à une salarié(e) sans appartenance syndicale (34%) et ensuite au dirigeant ou à la dirigeante (24%), loin devant un ou une syndicaliste, un porte-parole ou un avocat de l’entreprise. La parole doit être incarnée et légitime, ce qui place l’entrepreneur ou l’entrepreneuse en meilleure position. Très logiquement, nos concitoyens sont une large majorité à attendre que les médias ouvrent plus largement leurs antennes aux analyses et expériences des chefs d’entreprise. Alors que l’on constate l’effacement de certaines organisations structurantes, les entreprises voient au contraire leur rôle central se renforcer dans la société : made in France, souveraineté économique, inclusion… La parole de leurs dirigeantes et dirigeants est donc clairement attendue. Ces derniers doivent mieux répondre à cette attente de l’opinion publique et s’y préparer davantage avec leur direction de la communication.

La direction de la communication justement, est-ce quelque chose que les Français intègrent dans leur appréhension de l’entreprise ?

Jérôme Ripoull : à 72% les Français répondent qu’une direction de la communication est indispensable ou utile pour une entreprise. C’est un résultat très positif. Il prouve, qu’au même titre que celles des directions des Finances ou des Ressources Humaines, les expertises de la communication d’une entreprise sont bien identifiées et reconnues par le grand public. Les Français comprennent ce que doivent à ces directions la bonne gestion des crises, la prise de parole réussie d’un ou une dirigeante, la valorisation des engagements avec la société…

Raison d’être, RSE, entreprise à mission… Ce jargon corporate a-t-il passé le mur du sens ?

Vincent Lamkin : les nouveaux concepts à travers lesquels les entreprises expriment leur engagement dans la société sont encore largement méconnus des français : 6 français sur 10 n’ont jamais entendu parler de « Raison d’être des entreprises ». Et seulement 13% (23% chez les 18/24 ans), sur les 40% qui en ont entendu parler, savent dire de quoi il s’agit. Si l’on a sans doute beaucoup surestimé la portée formelle de ce concept, qui vise, sur le fond, à mieux relier les activités d’une entreprise à des enjeux d’intérêt général, on peut faire l’hypothèse qu’il a, jusqu’ici, surtout servi à réassurer, en interne, le sens de l’appartenance d’un collectif à une entreprise : salariés, partenaires proches. Et ce, à l’heure où les attaches à une marque employeur semblent fragilisées par un plus grand individualiste dans les comportements (cf. phénomène de grande démission, amplification du télétravail…).

Jérôme Ripoull : il faut que les communicants sortent d’un biais de perception : les notions de RSE, de Raison d’être ou d’entreprise à mission qui circulent dans les milieux de la communication, le sondage démontre qu’elles sont très mal connues du grand public. La plus ancienne et la « mieux » identifiée est la RSE dont à peine un peu plus de la moitié des Français a entendu parler (57% contre 39% pour la raison d’être et 35% pour l’entreprise à mission), sans forcément savoir ce qu’il y a derrière. Mais notons que les 18 à 24 ans ont une meilleure connaissance de ces notions. C’est une notion d’avenir, voilà pourquoi les entreprises mobilisées sur ces enjeux doivent faire preuve de plus de pédagogie et mesurer les objectifs sur leurs engagements pour nourrir un discours de la preuve.

Quelle place reste-t-il au rêve dans tout ça ?

Vincent Lamkin : le « rêve » ou l’idéal que vendent les entreprises aux consommateurs dans leurs discours publicitaires est globalement perçu comme trompeur : pour près de 7 français sur 10, « cela les incite à ne pas parler assez franchement de la réalité ». Pour 27% « cela les oblige tout de même à mieux se comporter et à proposer un idéal de société plus souhaitable pour tous ». Avec l’explosion des médias sociaux et du traitement médiatique des crises notamment, notre société est indiscutablement marquée par la culture du soupçon et du fact-checking. La complexité des sujets rend, en outre, plus difficile la promotion de messages simplistes, et les Français attendent aussi un discours de vérité qui concrétise les promesses des marques. »

Jérôme RIPOULL et Vincent LAMKIN, Directeurs associés et co-fondateurs de Comfluence