Lois de financement de la sécurité sociale : le Conseil Constitutionnel sur le banc

C’est une première depuis la création des lois de financement de la Sécurité sociale en 1996 : ni les députés, ni les sénateurs n’ont saisi le Conseil constitutionnel en 2020. Décryptage…

Les lois de financement de la Sécurité sociale constituent, avec les lois de finance, des temps institutionnels, budgétaires et parlementaires forts.

L’article 34 de la Constitution dispose que les lois de financement de la Sécurité sociale « déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». Plus que d’autres, elles sont donc des marqueurs politiques majeurs même si elles constituent, du point de vue du droit, une catégorie des lois ordinaires.

La spécificité des lois de finance et de financement n’est donc pas à rechercher du côté de leurs fondements juridiques, mais plutôt de leur finalité. Depuis leur création, elles ont pour ambition d’assurer la juste association des parlementaires à la détermination de l’équilibre financier de la Sécurité sociale et donc, mécaniquement, aux arbitrages et priorisations nécessaires.

Matière budgétaire et donc matière hautement politique, les lois de financement de la Sécurité sociale se prêtent donc au contrôle de constitutionnalité, les sages veillant particulièrement au respect des règles de finances publiques (sincérité et équilibre) comme à celui des droits fondamentaux : égalité de traitement et consentement à l’impôt. À cet égard, la position du Conseil constitutionnel a été réaffirmée dans la décision du 25 juillet 2001 relative à la LOLF que : « l’examen des lois de finances constitue un cadre privilégié pour la mise en œuvre du principe de libre consentement à l’impôt exprimé par l’article 14 de la Déclaration de 1789. En effet, la saisine parlementaire est une forme moderne d’expression du libre consentement à l’impôt car l’impôt ne peut être consenti que dans le respect de la Constitution et notamment des droits fondamentaux ».

Tout cela explique que le Conseil constitutionnel ait été systématiquement saisi depuis 1996. L’absence de saisine pour le LFSS pour 2021 est donc un fait politique important.

Avec plus de 505 heures de travaux en séance publique, auxquelles il faut rajouter les travaux passés en commissions et en auditions, on constate une forme d’épuisement parlementaire auquel l’application du temps programmé n’apporte pas ou de peu de solutions.

L’opposition parlementaire qui, par principe est à l’initiative des saisines, souffre sans doute plus que la majorité de cette situation et la contraint à investir sans doute plus le champ de la bataille parlementaire, plus visible, que celui du contrôle de constitutionnalité.

On peut sans doute également y voir une conséquence de la crise sanitaire. Les mesures d’urgences prises dans le cadre du PLFSS, à la fois pour la téléconsultation ou pour les établissements de santé et personnels concernés rendaient peu lisible une éventuelle saisine.

Tout converge pour donner à la saisine du Conseil constitutionnel une finalité plus politique et communicante que législative. L’objectif premier étant le plus souvent d’incarner une forme de mobilisation à l’encontre des projets gouvernementaux que d’obtenir une réelle censure.

Cette absence de saisine pèse aussi sur les stratégies d’influence déployées par les acteurs économiques et sociaux. La matière budgétaire et fiscale est la plus propice au développement des stratégies dites de « portes étroites » qui constituent la possibilité pour certains représentants d’intérêts de porter à la connaissance des sages du Conseil des contributions extérieures, destinées à éclairer leur décision.

Mais ces actions, qui sont souvent envisagées ultima ratio, ne peuvent pas constituer une stratégie en tant que telle. Elles restent peu développées, incertaines, même si le Conseil tend à les encadrer en rendant public les contributions reçues.

À l’inverse, la rédaction de notes à destination des parlementaires pour appuyer leur propre saisine reste le canal privilégié qu’utilisent les représentants d’intérêts pour contester en derniers recours, une mesure.

En tout état de cause, l’absence de saisine constitutionnelle a sans doute contrarié les projets de certains qui espéraient pouvoir exploiter cette dernière pour faire entendre leur voix et leurs intérêts.