Le délégué général de la Fédération des Entreprises de l’Eau dresse un bilan

Ancien délégué général de la FP2E, Tristan Mathieu répond aux questions de Jérôme Ripoull, directeur associé et cofondateur de Comfluence, avec qui il collabore depuis de nombreuses années.

  • Vous quittez le poste de Délégué général d’une fédération professionnelle après plus de 10 ans d’implication. De façon générale, qu’est-ce qui fait la force de telles organisations ?

La force d’une fédération professionnelle comme celle d’une entreprise repose notamment sur trois socles : l’expertise, l’engagement des salariés et le collectif.

Tout d’abord, dans le cas de la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau, une partie de son expertise s’appuie sur celle de ses entreprises. Il s’agit d’une expertise technique, technologique, mais aussi en termes d’ingénierie sociale ou tarifaire. Cette expertise est d’autant mieux mobilisée à la Fédération que celle-ci dispose d’un savoir-faire élevé en matière de représentation d’intérêt et porte-parolat.

La fédération a, en effet, pour atout de porter un discours collectif qui est recherché par nos interlocuteurs : ministères, organisations syndicales, parlementaires, partenaires ou journalistes. Ils peuvent ainsi se sentir dans un climat plus « confortable » que face à une entreprise unique. La voix d’une Profession a sa valeur propre qui n’empêche en rien celle des entreprises individuellement. De même, constituer, sur certains sujets précis, un point d’entrée unique pour l’ensemble d’une profession est une force pour une fédération. Par exemple pendant la crise covid, le ministère de la Santé et le ministère de l’Ecologie avaient un point d’entrée unique aux entreprises de l’eau, et par là même aux deux tiers des consommateurs d’eau, via la FP2E.

Une forme d’agilité est un autre atout fort pour une fédération professionnelle. Elle se nourrit de l’autonomie que ses membres lui donnent, au regard de la confiance qu’ils en son porte-parolat et en la représentation d’intérêt. Cette agilité est rendue possible aussi par l’engagement des salariés de la fédération et celui des représentants des entreprises dont l’action doit être valorisée par les membres.

Enfin, la rigueur et la transparence dans l’exercice de la représentation d’intérêt sont essentielles. J’évoque ici l’indispensable relation et rapportage aux autorités de contrôle, notamment en France à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique et auprès de la Commission européenne.

  • À la tête de la délégation générale de la FP2E, quelles évolutions sociétales concernant votre secteur vous paraissent les plus marquantes pour cette période ?

Celle qui me vient tout de suite à l’esprit est l’attention portée aux parties prenantes. Lorsque l’on a défini notre Raison d’être – nous avons été une des premières fédérations à le faire – nous avons internalisé le fait que la FP2E est là pour servir ses entreprises membres qui sont ses actionnaires, mais aussi les associations de consommateurs, l’Etat, les journalistes, d’autres fédérations, les associations d’élus, etc. La grande évolution, c’est à la fois une ouverture aux parties prenantes et en même temps une exigence de transparence qui est bien comprise.

Une autre évolution marquante est que l’on attend désormais des fédérations qu’elles soient un guide sur un certain nombre d’attitudes, de prises de position. C’est ce que nous avons fait au début de l’été en appelant à la sobriété des usages de l’eau pour, face à la sécheresse, interpeler à la fois les consommateurs, nos entreprises et le gouvernement sur la nécessaire attention à avoir sur la ressource en eau. Une interpellation coconstruite avec Comfluence et qui a été très bien reçue de tous je crois.

De même, nous menons depuis plusieurs années un travail avec la profession agricole pour l’accompagner vers des politiques plus vertueuses pour l’environnement, à travers un partenariat pour la protection des captages d’eau et plus récemment en participant au Varenne agricole de l’eau et du changement climatique.

  • Au moment de « passer la main », quelles sont les actions, les progrès dont vous êtes le plus fier ?

Je retiens avant tout, l’évolution de l’image des entreprises de l’eau, devenue plus positive en dix ans. On est passé de la défense d’un modèle de gestion à la promotion de solutions que peuvent apporter les entreprises par rapport au changement climatique.

Si on regarde dix ans en arrière, il y avait des gens climatosceptiques, d’autres qui pensaient que la concurrence n’était pas assez vive et ceux qui reprochaient aux entreprises de n’être tournées que vers leurs actionnaires. Certains avaient malheureusement fait de l’eau, question d’intérêt général, une marchandise politique.

En dix ans, la FP2E a contribué, avec ses membres, à faire évoluer cette vision. Aujourd’hui l’apport des entreprises est vu comme essentiel face au changement climatique, que cet apport soit technologique ou autre. Par exemple nous avons été les seuls, pendant les Assises de l’eau en 2019, à défendre l’idée d’un chèque eau généralisé ; nous avons très tôt poussé à la réutilisation des eaux usées traitées, à l’économie circulaire, qui aujourd’hui apparaissent comme indispensables.

Si je retiens donc une chose, c’est bien cette relation à l’entreprise, certes exigeante mais plus décontractée, plus mature, même s’il y a des progrès à faire. Finalement le rideau de fumée que constituait le débat sur le mode de gestion, publique ou déléguée, est en train de se dissiper au profit des vrais enjeux de l’adaptation au changement climatique. C’est source d’espoir et d’optimisme.